Dans l'obscurité silencieuse de la nuit, Aria était enveloppée par les ombres de son passé, harcelée par les spectres lancinants qui hantaient ses pensées les plus sombres. Au milieu des rues désertes, elle avançait sans but, son esprit capturé par les souvenirs douloureux qui la poursuivaient sans relâche.

Ce n'est qu'à l'approche du laboratoire lugubre, lieu de sa captivité, symbole de ses souffrances passées, que la réalité avait rattrapé Aria. Un frisson glacial avait parcouru son échine alors qu'elle se tenait devant les murs impénétrables de l'édifice, un monument sinistre évoquant les heures sombres qu'elle avait passées entre ses murs oppressants.

La colère avait alors jailli en elle, une tempête furieuse qui menaçait de tout emporter sur son passage. Ses poings serrés et sa mâchoire crispée témoignaient de sa rage impuissante face à l'injustice qui continuait de sévir derrière ces murs impitoyables. Dans un geste de désespoir et de rébellion, elle avait projeté son poing métallique contre le mur à côté d'elle, laissant dans la pierre l'empreinte brûlante de sa détresse et de sa frustration.

Mais même alors que l'impact résonnait dans les rues désertes, aucun soulagement ne venait apaiser la tempête qui faisait rage en elle. Car les cicatrices de son passé étaient trop profondes, trop douloureuses pour être effacées par un simple geste de révolte. Et dans l'obscurité de la nuit, alors que les échos de sa propre souffrance se mêlaient au silence oppressant qui l'entourait, Aria restait là, prisonnière de ses propres démons, cherchant en vain une échappatoire à sa tourmente intérieure.

Depuis que Jackson avait aidé ce type à sortir Aria de ce laboratoire, la récupérant pour la conduire en sécurité, auprès des Rebels qui la soignèrent et la remirent sur pieds, il avait gardé un œil sur la jeune martyre. Il avait exploré son passé, récolté le moindre fragment de données disponibles sur elle, et ce malgré les efforts déployés par Zenith pour nettoyer derrière eux.
Il y avait peu de choses à récupérer de son passé, sinon des bribes, des miettes de pain permettant de dresser un tableau général de son existence, cruellement banale si ce n’était cette énergie qu’elle avait dépensé à faire le bien autour d’elle à chaque occasion. Personne ne s’en rendrait compte en observant New York à l’œil nu, mais la ville avait sûrement meilleure mine grâce à tout ce qu’elle avait pu faire, à sa petite échelle, en l’espace de quelques années.
Cela faisait grandement relativiser sur le pouvoir de l’individu sur le groupe.

Et puis, elle avait disparu pour réapparaître à la sortie de cette officine secrète et aveugle, au milieu d’un quartier vide et délabré. Une cachette typique pour les mégacorporations lorsqu’elles voulaient cacher aux masses le prix à payer pour les prochains gadgets destinés à les asservir encore un peu plus à leur emprise. Elle était entrée humaine et était ressortie cyborg, comme ça, ni vraiment une autre, ni vraiment la même.
Ce genre de traumatisme et de transformation contrainte ne pouvait pas simplement être ignoré et, une fois rendue parmi ses nouveaux alliés, la jeune femme avait été placée sous surveillance passive par le fameux decker, qui gardait un de ses yeux informatiques sur elle afin de prévenir toute conséquence fâcheuse de ses péripéties.
Et il avait apparemment bien fait car, une fois sur pieds, elle avait saisi la première opportunité de faire faux bond aux attentions des Rebels pour revenir sur ses pas et rejoindre les lieux infernaux qui l’avaient avalée pour la recracher sous une autre forme. Quelques drones l’avaient capté dans le Queens et le programme de reconnaissance de Shadow s’était immédiatement affolé. Alors, rompant avec sa traditionnelle distanciation, il avait arrêté ses affaires, fermé son cyberdeck et pris le chemin du laboratoire. Sa destination était évidente.

Il l’avait retrouvée à proximité de l’entrée du bâtiment, banale, sans marquage ni signe de sécurité ni de surveillance ; indétectable si on ne savait pas sa présence. Mais Aria le savait et Jackson avait parfaitement conscience de ce qu’elle voyait en observant la façade vide.
Rendu sur place alors qu’elle se tenait là, émettant des complaintes déchirantes à proximité d’un mur récipiendaire de sa rage, il marqua un temps d’arrêt et sortit son deck pour vérifier qu’elle n’avait pas activé de protocole de sécurité ou d’alerte sur les réseaux corporatistes. Rassuré, il s’avança en silence, sa longue silhouette se faufilant à ses côtés au son léger de ses semelles sur le bitume sale.
Pendant quelques secondes, il observa la même chose qu’elle, sans un geste, ni un mot, avant de tourner légèrement la tête vers elle et de rompre le silence d’une voix calme, légèrement serrée par la violence des émotions qu’il percevait chez elle.

Ils ont fait du ménage après ton départ. Cet endroit… n’est déjà plus celui que tu as connu. Ceux qui t’ont fait ça ne sont déjà plus là.

Il se tut pour tourner les yeux sur elle, la dévisageant un bref instant avant de reprendre.

Que veux-tu faire, Nova ?

Aria se trouvait prisonnière dans les dédales insaisissables du temps, égarée comme une voyageuse errant dans les brumes épaisses d'un océan sans fin. Combien d'années lui avaient-ils été arrachées ? Dix ? Quinze ? Les chiffres s'évaporaient dans les abysses de sa mémoire, emportés par le tourbillon implacable du passé. Dans la pénombre étouffante de sa geôle, elle avait perdu tout repère, toute notion du temps qui s'écoulait, aussi insaisissable que le sable glissant entre les doigts.

Elle peinait à se souvenir du jour où elle avait vu la lumière du jour pour la dernière fois, quand le monde extérieur s'était évanoui derrière les barreaux de sa captivité. Les saisons se succédaient sans qu'elle puisse les voir, son corps se métamorphosant sous l'emprise de forces invisibles, tandis que son esprit se consumait dans l'obscurité. Ses premières règles avaient surgi dans le noir, un cruel rite de passage dans l'ombre de l'oubli.

Sa jeunesse lui avait été arrachée, ses aspirations piétinées par la cruauté des hommes. Les années s'étaient écoulées comme des grains de sable entre ses doigts, emportant avec elles les promesses brisées de son avenir. Dans cette introspection douloureuse, une rage brûlante grondait en elle, menaçant d'engloutir tout sur son passage. Une colère dévastatrice, nourrie par la trahison et l'injustice, mais aussi par la flamme fragile de sa dignité bafouée.

Dans l'immensité silencieuse de sa nouvelle liberté, Nova se tenait telle une silhouette égarée, prisonnière des vestiges de son passé. Chaque souffle de vent lui murmurait les échos de ses souvenirs brisés, les lambeaux d'une vie autrefois prometteuse réduite en cendres par les mains cupides de la corporation.

Les douleurs anciennes, aussi sombres que les ruelles où elle avait erré pendant des années, refaisaient surface, rappels cruels d'une innocence perdue et de rêves brisés. Elle était un phénix, renaissant de ses cendres, mais les flammes du passé continuaient de la consumer, menaçant d'éteindre la lueur fragile de son espoir renaissant.

Les barrières de sa nouvelle identité, forgées dans l'acier de la résilience et de la détermination, étaient constamment testées par les fantômes du passé qui la tourmentaient sans relâche. Aria Sanders avait été sacrifiée sur l'autel du progrès, son nom effacé des mémoires, remplacé par celui de Nova, une ombre parmi les ombres de la mégapole impitoyable.

Pourtant, même dans les ténèbres oppressantes de son existence, Nova cherchait des éclats de lumière, des raisons de croire en un avenir meilleur. Chaque jour était un combat, une bataille contre les démons intérieurs qui menaçaient de la consumer, mais elle refusait de se laisser submerger par le désespoir.

Elle était une fugitive en quête de rédemption, une âme en quête de paix dans un monde déchiré par la cupidité et la corruption. Et même si les blessures du passé continuaient de saigner, elle avançait avec détermination, portée par l'espoir fragile d'un avenir où elle pourrait enfin trouver la paix.

Elle sursauta à l'apparition d'une voix familière, tel un phare émergeant des ténèbres de sa tourmente émotionnelle. C'était une lueur d'espoir au cœur de la tempête, une révélation qui dissipait les nuages sombres de ses souvenirs torturés. Apprendre que le laboratoire secret n'était plus qu'un vestige des souffrances qu'elle avait endurées fut un soulagement indescriptible, mais aussi une avalanche d'émotions qui menaçaient de l'engloutir.

Des larmes brûlantes envahirent ses yeux, témoignant de la douleur refoulée qui émergeait à la surface alors qu'elle se tournait vers son protecteur rebelle. Dans le regard vairon de cet homme, elle trouva la compassion et la douceur dont elle avait tant besoin, tandis que sa voix grave et posée apportait un réconfort inattendu à son âme meurtrie.

Ce qu'elle voulait ? C'était une question qu'elle ne s'était pas posée depuis des années, peut-être même depuis toujours. Personne ne lui avait jamais accordé le luxe de se demander ce qu'elle désirait vraiment, et elle-même avait fini par oublier l'existence de ses propres aspirations au fil des épreuves qu'elle avait traversées. Mais maintenant, alors qu'elle se tenait là, au seuil d'une nouvelle vie, cette question lui brûlait les lèvres, réclamant une réponse qu'elle ne savait même pas comment formuler.

Dans un instant de silence révélateur, elle laissa les paroles du hacker pénétrer ses pensées, s'immisçant dans les méandres tortueux de son esprit tourmenté. Au cœur de cette nuit oppressante, elle se retrouvait confrontée à un choix crucial, une décision qui semblait aussi lourde que les chaînes invisibles qui l'avaient enchaînée pendant des années.

Pourquoi avait-elle suivi le chemin sinueux qui l'avait menée jusqu'à cet endroit maudit, où les ombres du passé semblaient se fondre avec les ombres du présent ? Cette question, elle la portait comme un fardeau, l'interrogation lancinante d'une âme en quête de rédemption, cherchant désespérément une réponse dans les replis sombres de son être.

Dans un geste empreint de fermeté, elle désigna d'un doigt tremblant le bâtiment lugubre qui se dressait devant eux, symbole sinistre de toutes les souffrances qu'elle avait endurées et qui hantait ses cauchemars. Sa voix, chargée d'une détermination farouche, résonna dans l'air nocturne, comme un cri de révolte contre l'injustice et l'oppression :

"Je veux qu'ils paient. Je veux que plus jamais personne ne souffre entre leurs mains avides."

C'étaient des mots empreints d'une colère froide et implacable, une déclaration de guerre contre ceux qui avaient détruit tant de vies au nom de leur propre ambition. Mais quelle forme prendrait ce tribut, quelle vengeance implacable pourrait apaiser le feu brûlant qui consumait son cœur meurtri ? Elle l'ignorait encore, mais une chose était sûre : elle ne se contenterait pas d'une justice banale. Elle voulait qu'ils ressentent, dans leur chair et dans leur âme, la douleur qu'ils avaient infligée, jusqu'à ce que leurs cris résonnent dans l'obscurité, témoins de leur propre chute.

Nova avait besoin d’un temps de réflexion, et c’était bien normal. Jackson ne l’avait pas interrogée ainsi pour obtenir une réponse immédiate et ferme, mais pour la sortir de sa torpeur mentale et du tourbillon de ses émotions, pour la faire rationaliser et penser à son avenir. Maintenant, quoi ? Telle était la véritable question. Aria avait choisi un pseudonyme, un nouveau nom pour une nouvelle vie, mais quelle serait cette vie ? Elle ne l’avait pas encore choisi et, tant qu’elle ne le choisirait pas, elle ne vivrait pas vraiment. Il était temps de la faire sortir de son état de goule pour la ramener parmi les êtres vivants, et Shadow l’aiderait s’il le pouvait.
Depuis qu’il avait aidé à sortir cette pauvre fille de sa prison infernale et qu’il l’avait récupérée pour la confier à la Rébellion, il avait gardé ses distances, fidèle à sa tendance à garder les autres loin de sa personne, assez loin pour ne pas pouvoir s’attacher et lui faire de mal ; mais il avait gardé un œil sur elle malgré tout, et il n’avait pas pu s’empêcher de s’attacher un peu, ne serait-ce que parce qu’elle était aussi là, face à ce choix, dans cette nouvelle vie, en partie à cause de lui. Il se sentait responsable d’elle aujourd’hui. Il voulait participer à sa renaissance. Peut-être se sentirait-il libre ensuite ?
Il lui laissa donc de l’espace et le temps de la réflexion, laissant son œil vert naturel se promener sur la façade aveugle et sur le cadre de la porte sans prétention, mais en vérité blindée et bourrée de sécurités, qui les séparait d’une décision potentielle de la cyborg. Le hacker était parfaitement au courant qu’elle pourrait vouloir y descendre et stopper ce qu’il restait à stopper. Une corporation ne laissait jamais son capital dormir et, même si son projet était terminé, les laboratoires servaient à plusieurs petits projets dans leur enfance, avec de petites équipes et une sécurité armée minimale. Ils étaient vulnérables, mais leur calcul de risques leur avait commandé de tenter le coup.
Leur calcul avait-il été prudent ? Si vous vous êtes posé la question, vous ne connaissez pas la nature de l’homo financus. Pour vous, le danger pesant sur ces êtres humains certes serviles et souvent corrompus, mais somme toute surtout coupables d’apathie conditionnée, est sans doute trop élevé. Pour leurs patrons, les risques se calculaient en devises, et il y avait clairement plus à gagner qu’à perdre ici. Financièrement, ça ne serait pas une grande perte. Ainsi avait calculé Zenith.

Finalement, Nova prit la parole et sa décision était claire. Sa gestuelle et sa tension parlaient plus intensément que la colère froide avec laquelle elle s’exprimait. Shadow tourna son regard vers elle et suivit le doigt jusqu’à la porte avant de répondre sur un ton laconique :

Tu es sûre de toi ?

Et, en retournant son regard vers elle, il vit bien sa détermination d’acier. Il hocha la tête et poussa un bref et profond soupir avant de faire craquer sa longue nuque et de sortir les mains de ses poches.

Bien. Je vais t’ouvrir la porte, lui annonça-t-il. Ne me débranche pas, d’accord ? S’il y a un problème, dis juste « kumquat ».

C’était un mot bien assez rare pour faire office de safeword, surtout dans un monde où il avait disparu. Avec un sourire tranquille, il alla vers le mur et s’assit par terre en s’y adossant, sortant son deck de son sac et en tirant une longue aiguille, une prise rachidienne qu’il dirigea vers l’arrière de son crâne, où se trouvait son datajack.

A tout de suite !

Il enfonça l’aiguille dans sa nuque et son œil vert s’éteignit, son corps se relâchant. Sur ses genoux, son ordinateur s’anima à une vitesse folle, des processus s’exécutant en tous sens. Il s’était connecté à un nœud local et était entré dans le réseau de sécurité du laboratoire. Sa backdoor était toujours en place et il y rentra sans difficulté, contournant les sécurités principales avant de faire sauter les verrous de sécurité l’un après l’autre.
Dans son état de transe digitale, l’opération sembla durer de longues minutes et lui demanda beaucoup d’énergie pour se concentrer mais, pour Nova, il se passa moins d’une minute avant de le voir cligner des yeux et revenir à lui. Lentement, reprenant possession de son corps, il alla déconnecter la fiche de son crâne dans un grognement – c’était toujours la partie la plus désagréable –.

La voie est ouverte, assura-t-il quelques secondes avant que la porte n’émette un claquement en se déverrouillant. Il y a deux gardes armés. Plusieurs fiches d’écart. Tu n’auras aucun mal à les dominer.

Et il releva son regard dans celui de la cyborg, guettant si elle était toujours aussi déterminée après cette nouvelle. Elle devait savoir que, si elle voulait vraiment détruire ces hydres malfaisantes, il faudrait couper plus d’une tête remplaçable sur son chemin.